Rêveurs.
C'est ainsi qu'on nous nomment. Les rêveurs. Parce que nous voyons des choses durant notre sommeil, des visions, des souvenirs d'autres personnes. Généralement ces dites personnes sont décédées, et nous envoient des moments importants de leurs vies qu'ils désirent que nous interprétons afin de leur venir en aide, bien qu'il arrive qu'on perçoive des scènes du futur ou encore du passé de personnes bien en vie, mais je préfère dire que dans de pareils cas, c'est les morts qui nous envoient ces visions des vivants afin de nous avertir de quelque chose en particulier. Je n'ai jamais voulu comprendre la signification de médium, ainsi que le fait qu'il en existe de différentes sortes dans le monde. Je ne me suis jamais désignée comme médium officiellement, et je n'ai pas non plus cherché à en tirer profit financièrement. J'ai longtemps subis ces rêves qui ne m'appartenaient pas, ces intrusions dans la vie d'autres personnes sans que je ne puisse les commander. Cela m'a longtemps déplu, bien que j'ai commencé à m'en amuser lorsque ces rêves ont commencés à viser des personnes que je connaissais. J'avais cette douce sensation de pouvoir, de maîtrise et d'absolu contrôle ; l'impression d'en savoir plus sur eux que quiconque. Je ne contrôle pas mes rêves, mais j'ai compris une chose importante au fil des ans...Ces rêves me viennent dans un but précis, que j'ai longtemps cherché à décoder, à comprendre, jusqu'à ce que je découvre que ces visions n'apparaissaient qu'en fonction d'une personne en particulier, quelqu'un que j'avais côtoyé, brièvement ou non. Ou simplement aperçu. C'est ainsi, par exemple, que j'ai découvert la nuit après l'avoir rencontré alors qu'il venait d'emménager dans notre rue, que celui qui deviendrait mon meilleur ami au secondaire avait éventré le chat de sa tante lorsqu'il avait neuf ans. D'une certaine manière, je m'obstine à croire que j'ai un certain contrôle sur mes rêves, puisque je peux en quelque sorte sélectionner une cible. Bien que tout reste assez hasardeux, car je ne peux choisir quel élément de sa vie je souhaite voir m'apparaître en rêve. J'ai souvent souhaité avoir des visions du futur de mes parents, ou du passé de mes amis de façon à mieux les cerner, mais malgré toute ma persévérance je n'ai jamais pu orienter mes rêves vers ce que je souhaitais sincèrement voir d'eux. Passé ou futur...Il ne s'agit que de flashs, et je me dois d'en déduire à quelle période de la vie de cette personne ce que j'ai vu correspond. J'ai toujours été une rêveuse, et ce depuis ma naissance. Mais cette particularité s'est vraiment révélée à moi le jour de mes six ans, quand après avoir visité la demeure de mes grands-parents j'ai rêvé la nuit d'après de ces derniers mourants dans un crash d'avion en direction des Bermudes pour leur retraite bien méritée. J'étais apeurée, et en ai parlé à ma mère, elle a clamé que ce n'était qu'un cauchemar. Je l'ai crue. Six mois plus tard, mes grands-parents annoncèrent qu'ils partaient aux Bermudes cet été ; mais encore une fois, je me suis abstenue de tout commentaire. M'auraient-ils prise au sérieux ? L'accident fut retranscrit dans le journal télé le jour du crash. Ma mère était en larmes, et je ne pouvais que me blâmer pour avoir négligé ce signe. Car c'est ainsi que j'ai décidé d'interpréter ces curieux rêves me visitant à la nuit tombée, dans mon sommeil. Ces signes sont là pour me guider et ainsi espérer une vie meilleure grâce à eux. Durant les premières années de ma vie, j'ai eu tendance à me confier à certains de mes camarades, ce qui fut une de mes plus grosses erreurs d'adolescente ; tous me rirent au nez jusqu'au lycée où après avoir déménagé en Toscane, je m'offris le luxe de recommencer ma vie à zéro en omettant certains détails de ma personnalité qui auraient pu me porter préjudice. Ces quelques années de ma vie furent très épanouissantes, et même si je ne cessais de retenir les choses que j'avais vu en rêve et concernant des camarades que je connaissais, je me sentais normale. Je n'ai jamais parlé de cette particularité à mes parents, craignant qu'ils ne me considèrent comme une illuminée, voire une cinglée. J'ai préféré garder ce que je savais pour moi, ayant toujours eu un tempérament très solitaire. Étant enfant unique, je n'ai jamais eu cette facilité à sociabiliser...Je me suffisais à moi-même, et après tout, il vaut mieux ne faire confiance qu'à soi-même, on est au moins sûr qu'on ne pourra s'auto-trahir. Je n'ai jamais fait confiance aux gens, pas vraiment. Après avoir souvent été trahie par le passé, par abus de gentillesse, de faiblesse ou de naïveté, je me suis enfermée dans ma propre bulle, ai construis des murs autour de mon cœur. Je ne comptais que sur ma famille, mes parents, Renata et Giorgio, tous deux d'origine italienne et habitués de la si belle Toscane. Ma mère ne travaillait pas, elle consacrait ses journées à la peinture, et mon père était responsable ainsi que critique littéraire dans une maison d'édition. J'ai vite pris goût à l'art ainsi qu'à la littérature ; ayant souvent songé à prendre exemple sur mon père que je considérais jusqu'alors comme un modèle exemplaire. Finalement, après avoir obtenu mon diplôme je me suis orientée en faculté de langues et d'histoire à Paris. J'ai étudié cinq ans en France, un pays que j'admirais pour sa gastronomie, son histoire ainsi que sa culture. Lorsque je suis retournée en Italie, fraîchement diplômée, quelque chose avait changé. Je n'osais l'admettre, mais ce en quoi j'avais toujours cru existait bel et bien.